Demenqgement et autres circonstances de bon augure
08012005 - VILLA N°1
Aujourd'hui, grand changement. Nous venons de déménager dans une nouvelle villa. Nous habitons un petit complexe de quatre grandes suites, qui prennent place dans un petit jardin fermé. Chacune d'entre elle est composée de deux chambres superposées qui forment le premier pavillon. Dans le second, qui est ouvert sur le jardin, se trouve la cuisine et une petite chambre pour la home maid, éventuellement.
A la différence de la précédente, celle que nous occupons maintenant a un plus vaste jardin qui s'ouvre directement sur les rizières et surtout, un énorme jaccuzi. Je vous laisse imaginer le bonheur des enfants de le revoir se remplir, avec les grands jets d'eau qui vont bientôt nous masser. A première vue, c'est aux soirées que je pense, et au lieu de discuter autour de la table, c'est dans l'eau que nous allons nous prélasser de nos longues journées avec Séverine.
En revanche, nous avions un magnifique frangipanier dans l'autre jardin, qui a été coupé dans celui-ci. J'ai un faible pour les frangipaniers. Nous en avions planté un dans le jardin de Guénolé, au Cap Est, en Martinique. C'était mon arbre, et Edgar l'arrosait chaque jour, tout en lui prodiguant moult caresses afin qu'il se sente bien en terre et entouré d'affection. Ça avait été un déchirement de devoir le laisser lorsque nous sommes rentrés à Paris. Aussi, ma joie fut intense, lorsque Guénolé revint quelques mois plus tard, avec le frangipanier dans ses bagages. Je lui donnai un beau pot de faïence chinoise, et recommençai à lui apporter des soins méticuleux. Mais cela ne fut pas suffisant ; en quelques mois, il perdit ses quelques feuilles et s'éteignit tout à fait. Ce fut un moment de tristesse dans ma vie. Aussi bien fus-je ravi de découvrir ce magnifique spécimen, de la taille d'un arbre, nous laissant chaque jour de belles fleurs qu'Hortense se plaisait à ramasser et à nous donner. Nous profiterons désormais de celles qui jonchent le sol autour de la piscine. Ce n'est pas si mal !
De la persistance des souvenirs, et de leur retour au contact de situations équivalentes.
« Toy la noï phàp ! » (je suis français), « toy la sin vièn » (je suis étudiant), « com on » (merci), « café suà dà » (café au lait glacé), et d'autres expressions me reviennent. Je ne cesse de m'étonner de la rémanence de ce vocabulaire vietnamien, certes rudimentaire, mais qui m'apportait la faculté d'entrer en contact facilement avec les vietnamiens n'ayant pas d'expressions anglaises à leur disposition. Je mesure aujourd'hui cette lacune, et si l'un d'entre vous vient nous voir ou peut trouver un phrasebook français indonésien à nous envoyer, je lui en serais très reconnaissant (j'en avais trouvé untrès bon pour le vietnamien aux éditions Lonely Planet). Debout sur la terrasse, j'observe deux paysans qui travaillent deux parcelles de rizières. Visiblement, elle vient d'être labourée, et avant de semer les jeunes plants de riz, ils tassent la terre avec leur pied. Le riz pousse dans une terre inondée et les paysans qui la travaillent passent donc leurs journées pieds nus dans la boue. Si j'avais ces quelques rudiments de vocabulaires, autre que « bonjour », « merci », « un, deux, trois, quatre, cinq », je pourrais engager une conversation, et leur rendre familier ma présence. Il faudra trouver une tactique, qui brisera la pudeur de leur regard à notre encontre. Car ils semblent tout faire pour ne pas tourner leurs regards vers nous, de peur sans doute de déranger, ou je ne sais quoi ?
Je n'ai pas gardé de telles expressions en hindi, car la grande majorité des gens à qui j'ai eu à faire en Inde étaient au moins à peu près anglophones, l'anglais étant la deuxième langue nationale.
Mais, donc, plus de dix ans après, ces petits mots de vietnamiens sont restés, et avec eux, je vois bien que c'est l'intensité de certains souvenirs qui s'est gravé sous de multiples résidus visuels, auditifs, olfactifs, gustatifs ou même conceptuels. Car ce sont effectivement des scènes qui jaillissent et que je peux revivre en technicolor sur l'écran de ma mémoire. A l'époque, la bière n'était pas une Bintang, mais une « Bà bà bà », pour 333. Il y avait même ces cigarettes « nam nam nam » pour 555, que je retrouvai deux ans plus tard en Inde. Curieusement, ici, à part des locales qui se rapprochent des bidies (les cigarettes indiennes au parfum si fort), on ne trouve que des marlboro ou des lucky. Et n'allez pas imaginer que j'ai recommencé à fumer
Bref, j'aimerais bien qu'au retour, certaines scènes soient imprimées sur la cire si capricieuse de ma mémoire, et avec des mots ; car les mots sont le signe tangible de la rencontre, du partage.
Je me suis rendu seul au marché ce matin. En faisant le tour des étals, on m'a demandé des nouvelles « d'Hotense », avec les gloussements qui s'imposent. Pendant ce temps, j'achetais quelques oranges vertes, des pommes, du mi (les pâtes locales), les condiments que l'on y ajoute pour composer un mi goreng (le plat de base ici avec le nasi riz- goreng), des crevettes fraîches, mais pas de mangues ni de ces fruits qui ressemblent aux lychees, car il n'y en avait plus.
J'étais content de trouver ces crevettes, car elles me mettaient en relation avec un pêcheur. J'ai ainsi essayé de lui demandé s'il avait son bateau à Canggu beach, ce qui apparemment est le cas. Retour sur la balade de Séverine hier soir. En parcourant la campagne afin de prendre des clichés de rizières, elle a découvert un nouvel accès à la mer, qui l'a amené à une sorte de base de pêche. Quelle trouvaille ! Nous avons enfin notre bonheur complet : un marché, les rizières, la mer et ses vagues et un village de pêcheurs. Avec ça, que rêver de mieux ?
Sans compter ce déménagement qui apporte un surcroît de confort.
En passant
« Le cerveau meurt s'il oublie le chant et la musique. Ils appelaient [les médecins] cela amusie et dysmélodie »,
Finalement, un premier bilan s'impose, qui pourrait s'apparenter à une forme de rectificatif. En effet, avant de partir, l'une des justifications à la longueur de ce séjour résidait dans la nécessité d'une durée suffisamment longue pour prendre des marques et commencer à jouir d'une certaine autonomie. Autrement dit, compte tenu de nos expériences passées, nous prédisions qu'il nous faudrait sans doute au moins deux ou trois semaines avant de nous sentir « à l'aise ». Je me rends compte que, pris par l'obligation de procéder à ces repérages, nous avions oublié cette donnée, pour parfois, s'abandonner à l'idée que les choses prenaient vraiment du temps. Or, que réalisons-nous maintenant ? que nous en sommes à quelques repas élaborés (poulet à la citronnelle, crevettes marinées et cuites au wok dont nous disposons dans notre nouvelle batterie de cuisine -, vegetable & fried noddles) ; que la géographie des lieux commence à devenir plus claire (noms des villages et des rues, situation des magasins) ; et surtout, que nous commençons à être identifiés par des locaux et à en identifier nous-mêmes, ce qui est peut-être plus difficile. Ainsi, alors que nous revenions d'une promenade cet après-midi avec Ade, Pascal et ses parents, nous nous arrêtâmes devant une épicerie non loin du marché. A ce moment, une jeune femme nous désigna du doigt à son mari et, tout en rigolant, mentionna le nom d'Hortense. C'est tout au moins ce que je compris car nous étions restés dans la voiture. Mais, c'est avec un vrai plaisir que nous répondîmes à son signe en la reconnaissant comme l'une des commerçantes du marché.
C'est à ce genre d'expérience que nous mesurons l'avancée de la qualité de notre insertion et surtout, que nous fabriquons du vécu qui vaut. C'est difficilement quantifiable, certainement, mais c'est en tout cas ce qui me plaît, même si c'est peu.
Outre la visite faite à Pieter DEIMAN, un peintre hollandais collectionneur de coquillages et architecte de sa maison comme de son jardin, sur laquelle il faudra que je revienne, je me dois de mentionner ma première observation d'une cérémonie religieuse, en prenant mon temps. J'y assistais ce soir, juste après notre retour. La nuit venait de tomber, au moment où les insectes se mettent à voler en tout sens et à envahir l'espace, à tel point que l'on ne sait comment les éviter. J'enfilai mes lunettes de soleil pour m'en protéger. Il me fallait trouver quelques ufs pour les enfants et des citrons pour la marinade des crevettes. Je m'arrêtais donc juste en face d'un petit temple devant lequel était rassemblé une bonne quarantaine de participants. Il semble que la cérémonie du jour concernait la bénédiction des véhicules. Bref, cette assemblée était essentiellement composée de musiciens. Je me tenais de l'autre coté de la route, devant l'épicerie. Deux hommes à mes cotés étaient absorbés par un spectacle de cirque retransmis à la télévision. Ils tournaient le dos à la cérémonie, et je trouvai la situation très drôle ; ni l'un ni l'autre n'avaient détourné leur regard à mon approche, bien que je me fusse arrêté dans la pétarade de ma moto. Peu importe. Du coup, j'en profitais pour remettre à plus tard ma commande, et pour regarder tout à loisir le rite qui se déroulait à quelques mètres devant moi. Et, finalement, à l'invite du tenancier, je m'asseyais sur le lit de bois installé devant son étal. J'essayais de détailler les instruments qui formaient cette mélodie tout en rondeur, si bien représentée par le xylophone, mais accompagnée aussi de percussions en cuivre semble-t-il. Tout à coup, un couple composé d'une vieille femme et d'un homme non moins âgé, s'avança le long de l'assemblée et l'aspergea de ce qui pouvait être de l'eau, sans doute. Ils se retirèrent ensuite. Alors un homme se leva, faisant face aux musiciens et, accompagné de quelques femmes, se mit à danser. J'étais émerveillé de pouvoir profiter de ce spectacle alors que je n'étais venu faire que quelques courses. Nous passerons sur les échanges avec l'épicier, qui se décida finalement à me servir. La retransmission devait avoir pris fin. Finalement, j'enfourchai la moto en regrettant un peu de ne pas rester plus longtemps en compagnie d'une bonne Bintang et de Séverine, mais le devoir m'appelait. En partant, mes phares éclairèrent le chef d'orchestre qui avait remonté son sarong et soulageait sa vessie tranquillement dans le fossé.
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